« Vous avez des masques ? » La question n’est plus de pouvoir acheter des masques, mais de devoir en porter dans les transports publics à partir du 11 mai 2020.

Le masque, symbole du héros, du zéro, et de l’infini

Le masque est symbole de la guerre et de la victoire au bout des gestes barrière. « Aujourd’hui les super-héros portent des masques » ; cette affirmation est devenue un même. Et un truisme*. Pourtant, le masque n’est pas uniquement le symbole de puissance et de mystère, mais aussi de la peur, de l’obéissance. Il renvoie à d’autres temps, par exemple aux guerres (euh… « les vraies ») pendant lesquelles le masque est condition de survie. Le masque rappelle aussi d’autres temps, qui ne peuvent s’effacer, qui ont montré qu’une petite pièce de tissu peut avoir une portée mondiale et criminelle. Une portée… uniforme.

Le masque c’est zéro ! Zéro sourire, zéro émotion. Zéro transpiration de sentiments. Le masque est voile, occultation, bâillon. Au sujet de la mesure imposant le port du masque, « je n’ai rien à dire ». Et ça se voit sur mon visage… Le masque est muselière, accompagnée d’une laisse de 100 km. Je suis un chien [1].

Le masque est l’infini ; il semble devoir être porté indéfiniment. Du moins depuis que l’adverbe « bientôt » s’est transformé en signe mathématique : « la fin du confinement et le port du masque sont pour bientôt », sans qu’aucune date ne soit précisée. Le confinement sera-t-il ad infinitum ?

Le masque est donc un objet surréaliste qui illustre les plis et replis du temps, des repères, des valeurs humanistes et des symboles.

Derrière le masque, une personne

Je suis devenu un individu standardisé, anonymisé. La personne que j’étais, n’est plus. Je ne suis plus moi-même. Ma voix est transformée. Seuls mes yeux dépassent. Mon regard hagard ne croise plus ceux des autres. Des fois que…

J’adopte un comportement métronomique, robotisé, machinique, hypnotique [2][3].

Et les mois de confinement ont rabattu toute tendance à la main qui se tend, au regard qui se porte. Alors je regarde mes godasses, je serre les poings dans mes gants et j’oublie qui je suis, j’ai banni toute réflexivité, je serre les mâchoires pour ne rien dire, pour ne pas soupirer. Je me replie en moi et dans cette foule atomisée, rabotée de toute singularité.

L’Etat me prend en main, m’encadre, me gère. J’ai l’impression d’être un Stück et de devoir évoluer dans des bulles d’espace contraint et strié, un Lebensraum du panhygiénisme qui m’a été « vendu », concédé et finalement imposé pour mon propre bien.

Je me surprends à penser qu’il est surprenant de constater que la vie d’après le confinement ressemble étrangement à bien des égards, à celle d’avant la Libération.

Le masque, espace-prison

Depuis le début du confinement, les comportements se dressent, le masque se porte, les têtes se baissent. Nous voilà transformés en fruits secs ; nous sommes à l’amende et devons rester dans notre coquille de 4 m² ; le masque est une fermeture, une clôture avec deux entrées…

La clôture du devant et du dehors

Le masque laisse apparaître les yeux, mais pas les réactions, le haut du visage, mais pas la figure humaine. Les gueules cassées se croisent, cherchent à ne rien échanger. Surtout pas de friction. Pas de frisson. Pas de passion.

J’ai beau observer mes congénères, je ne « vois » rien. Cette absence de relation est peut-être surinfectée par le confinement. En en imposant le confinement, les Autorités ont imposé une vision plus restreinte, une périphérie réduite à quatre murs. Après le confinement, c’est la vision qui se réduit, perd en acuité, en sélectivité, en repérage de la différence. Ce qui l’emporte c’est le « tout le monde ». Et chacun est géré comme « tout le monde ». C’est là où le masque blesse…

La clôture du dedans le masque et du « en-moi »

Le masque me cache, me tache, me stigmatise, me rappelle sans cesse la situation infantilisante dans laquelle je me trouve, les Autorités se plaçant sur leur adulte, me ravalant au rang d’enfant qui doit bien agir sous peine de punition (au XIVe siècle, temps où la punition aurait été divine). Il me clôt dans mes paroles, m’oblige à ravaler mes pensées forcément déviantes et en dehors de la ligne, il m’entoure d’une cellule mobile de quelques m² : mon masque est tout à la fois barreaux, cellule, filtre.

Ce masque, je l’ai sur moi. Mon sur-moi a été façonné par le social et le politique, par un environnement injonctif, normatif, m’invitant à régler « seul » mon comportement (sous l’œil attentif de mon prochain et des Autorités), à être mon bourreau. Le masque est la figure, ma figure de l’auto-discipline et du renoncement. A preuve, c’est moi qui le mets… Servitude volontaire du prolo orwellisé que je suis devenu en quelques semaines [4].

Comment déplier l’espace ?

En conclusion, comment déplier l’espace ? D’abord, en rompant les barreaux que nous pouvons atteindre : en priorité ceux en nous, ceux derrière le masque. Alors je souris aux belles personnes, aux beaux gestes, aux lecteurs de philo, aux poètes du quotidien, à ceux qui n’ont pas renoncé. Je choisis d’avoir plaisir à être humain, à exister en m’incluant dans un regard global. Car le monde que je vois est aussi celui que je co-crée. J’essaie de l’embrasser comme je voudrais qu’il soit…

Ensuite, je tente de diffuser ce parfum de liberté entre contraintes sanitaires, théories complotistes de tous bords, obfuscations informationnelles, primat de l’éthique et respect de la démocratie. Alors, je me garde de juger à mon tour mes congénères car je ne suis pas un vigile mandaté par les Autorités. Il m’est déjà si difficile de rester moi-même « comme avant »…

Moi-même… Car oui, le confinement a centrifugé ma psyché, broyé mes valeurs, porté atteinte à mes relations avec autrui. Il a fait chanceler mon identité. Je vous le dis sans fard, sans masque.

***

Cet article a aussi été publié sur Linkedin, Tribune Juive et Marketing Professionnel. Merci !

[1] Léo Ferré, Le chien (1970) : « Et tu n´achètes plus que du vent », « Et c´est le Bonnet Noir que nous mettrons sur le vocabulaire », « NOUS SOMMES DES CHIENS et les chiens, quand ils sentent la compagnie, Ils se dérangent et on leur fout la paix. Nous voulons la Paix des Chiens »

[2] Cf. la tour TV de Prague, tour Zizkov : « Les bébés cauchemardesques de David Cerny, des fantômes aveugles condamnés à monter et descendre cette tour ». Source : https://www.vanupied.com/prague/monument-prague/tour-de-zizkov-a-prague-un-monstre-bizarre-zizkov.html © Ill. têtière Bluespix

[3] Devo, Mongoloïd, 1978 « He was a Mongoloid, Mongoloid / His friends were unaware / Mongoloid, he was a Mongoloid / Nobody even cared ».

[4] Cf. la pyramide sociale dans 1984, de George Orwell (1949) https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1984_Social_Classes_alt.svg

* Note aux pisse-vinaigre : ce papier ne remet pas en cause le rôle prophylactique du masque.


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